Par Raymond Sérini - Patriote Côte d'Azur

Lucio Dalla est une immense star de la chanson italienne. En France, il est surtout connu pour être le créateur de Caruso, le succès mondial immortalisé par Luciano Pavarotti et repris par des dizaines d’interprètes à travers le monde, dont Florent Pagny chez nous. Mais au-delà de cette reconnaissance planétaire, Lucio Dalla a été durant les quatre dernières décennies un artiste profondément engagé à gauche. Dès le début des années soixante dix, sa collaboration avec le poète Roberto Roversi fera naître des chansons – brûlots qui transformeront le paysage musical italien. Il suffit de se souvenir de l’Operaio Gerolamo qui évoquait la condition ouvrière et l’immigration forcée pour survivre. D’albums en albums, le succès a toujours été au rendez vous. Il y a encore peu de temps, en 1990, Lucio Dalla terminait l’un de ses cds Cambio, avec Comunista, une sorte de mise en lumière de l’idée communiste dans laquelle l’homme, l’être humain demeure au centre de la vie. L’interview qu’il nous accordé en Janvier dernier, lors de son passage en concert à Cannes, démontre la liberté de ton et la justesse d’analyse d’un créateur de soixante trois ans qui n’a eu de cesse tout au long de sa carrière de proposer une parole débarrassée de toutes les hypocrisies et les compromissions habituelles du milieu du show-biz.

J’aime beaucoup la vie et toutes les possibilités de communication que nous avons avec les gens. Je ris lorsque je dis que je suis professeur de sociologie à Urbino mais cela, je le fais pour mon plaisir. Je ne suis pas professeur, je fais profiter de mon expérience. Mais ce n’est pas mon travail normal. Je ne sais d’ailleurs plus ce qu’est mon travail normal. Je suis arrivé dans le métier comme clarinettiste de jazz, puis j’ai été chanteur tout à fait par hasard, puis acteur et réalisateur. Je fais beaucoup d’autres choses, la curiosité est la richesse de la vie. Je ne sais pas quel est le futur de ma vie, quelle activité je ferai dans les mois à venir, quelle surprise viendront à moi. C’est ce côté-là de l’existence qui est le plus amusant, car j’aime aller vers des choses nouvelles.

La chanson Caruso est arrivée de manière tout à fait inattendue. J’étais à Sorrento, mon bateau avait eu une avarie. J’ai appelé un ami, propriétaire de l’hôtel ou Caruso est mort. J’ai occupé la suite de Caruso et je me suis rappelé de cette histoire : Caruso était tombé fou amoureux d’une jeune chanteuse qui ne chantait pas très bien. Un soir, Caruso sortit sur la terrasse de l’hôtel et se mit à chanter cet amour. Tous les pêcheurs de Sorrento entendirent le chant de cet homme malade, son ultime chant d’amour.

Il est important de chercher de nouvelles stimulations et la transformation actuelle de notre société est une bonne raison de contamination en général et l’occasion de comprendre pourquoi nous communiquons avec les gens.

- Je me souviens que lorsque l’album 1983 est sorti, vous disiez que des mots comme « patron » n’avaient plus aucun sens. Que pensez vous de la transformation de la société actuelle par rapport à l’époque ou vous étiez plus jeune ? Que sont devenus les espoirs d’antan ?

L’espoir est toujours là ; l’ennemi est toujours là mais il a changé. Aujourd’hui, très probablement, l’ennemi de l’homme est un nouveau pouvoir ; un mélange entre politique, finance et économie. Cela se traduit par des réseaux, des « networks »qui avec les nouvelles technologies, nous mènent aujourd’hui vers une vie artificielle, de moins en moins humaine. Il nous faut maintenant nous défendre, plus du patron de l’usine, mais des patrons de nos consciences qui malheureusement sont à vendre aujourd’hui.

- Aujourd’hui, serait-il encore possible de proposer un discours comme celui de votre collaboration avec Roberto Roversi ?

Le conflit est toujours là, il change parfois, mais il nous faut grandir. Car soit nous grandissons, soit nous régressons. En réalité, nous devons trouver les raisons qui doivent nous faire comprendre ce qui fait que nous sommes écrasés. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de personnes humaines identifiables qui sont contre toi, mais ce sont les choses que les hommes inventent : la télé, la radio, les ordinateurs (que j’aime beaucoup par ailleurs et que j’utilise également). Mais il faut savoir ce que l’on a en face de soi.

- Q’avez-vous pensé du film de Sabina Guzzanti Viva Zapatero ? (dans ce film, la réalisatrice fustigeait Berlusconi et son intrusion dans les médias télés et le fait que plusieurs journalistes (dont Sabina Guzzanti elle-même) ont été évincés pour avoir tenus des propos contre lui) ?

C’est un des meilleurs films italiens actuels, il est vraiment extraordinaire.

- Que dire alors d’un Président du conseil qui gère la télévision à sa guise et met dehors des journalistes de la Rai, entre autres ?

Quand je parle de nouveau pouvoir, c’est exactement de cela que je parle. En fait, il est possible de voir tout ceci de plusieurs manières. Je suis moi-même ami de Berlusconi, l’homme est sympathique mais je ne voterai jamais pour lui et ne travaillerai encore moins avec lui, pour la seule et simple raison qu’il ne peut pas y avoir autant de pouvoir dans une seule et même personne. Mais tout cela, chacun le sait en Italie : la différence est que cela convient à certains et pas du tout à d’autres.

- A quoi rêve Lucio Dalla aujourd’hui ?

Je rêve du jour qui arrive, de l’ami et de l’amour qui viendra.

- Il faut donc toujours aller de l’avant ?

Oui quoi qu’il arrive, même si on te coupe les deux jambes.

Philippe DE NANS (pseudonyme)

patriotecotedazur