Par Raymond Sérini - Patriote Côte d'Azur - 2005

Avant sa venue à Nice en la salle Acropolis le vendredi 13 mai prochain, Michel Jonasz à accordé au Pca Hebdo une interview exclusive. Nous avons évoqué son splendide nouveau cd dans notre précédent numéro, l’un de ses tous meilleurs. Le but de cet entretien était de mettre l’accent sur l’homme et son parcours personnel et intérieur. Avec une gentillesse et une disponibilité rares, cet immense artiste nous a parlé de son nouveau spectacle, de l’amour de son métier, ainsi que de sa vision de la vie.

- Que représente ce nouveau cd dans votre carrière et est ce que le fait de l’avoir réalisé entièrement a-t-il changé votre manière de travailler ?

En fait, j’ai toujours réalisé mes albums entièrement. Par rapport à cela, rien n’a vraiment changé. J’ai toujours été mon propre maître artistiquement. Je suis producteur de mes albums depuis Tristesse, donc depuis un peu plus de vingt ans. Et puis de toutes façons, même avant quand j’étais artiste, je décidais de tout parce que j’avais fait mettre une clause dans mon contrat comme quoi il n’y avait pas de directeur artistique me concernant et que j’étais mon seul maître à bord. Par contre, ce qui est nouveau avec cet album, c’est le fait d’être à la fois producteur et également une maison de disques, un label comme on dit. Donc, je produits mes disques mais je les fabrique aussi et ceci, effectivement, pour la première fois. Par contre, en ce qui concerne le plan artistique, la liberté de création et le choix de musiciens, rien n’a changé car cela, je l’ai toujours fait.

- De nouveaux musiciens très talentueux sont présents sur ce disque et vont vous accompagner sur scène. Nous connaissons Jean Marc Jaffet qui est de Nice. Comment avez-vous rencontré ces musiciens ? Quel a été leur parcours et pourquoi les avoir choisis ?

En fait, je ne connais pas vraiment bien leur parcours personnel. Tout est parti de Laurent Robin, le batteur, qui avait travaillé avec moi sur le dernier spectacle. Lui vient du jazz et je l’avais rencontré lors d’auditions que j’avais fait passer à des musiciens. Il a donc fait la dernière tournée avec moi et m’a conseillé le bassiste Jean Marc Jafet que l’on connaît pour tous les musiciens avec lesquels il a joué, ainsi que pour ses albums solos. Laurent m’a également parlé du pianiste Alfio Origlio qui vient lui aussi du jazz et a travaillé également avec un grand nombre de chanteurs et chanteuses. J’ai écouté son album solo et cela m’a plu. J’ai trouvé immédiatement une cohérence entre ces trois musiciens-là. Le guitariste Jean Christophe Maillard jouait avec Etienne M’Bappé, mon bassiste de l’album où vont les rêves.

C’est un guitariste qui a une palette sonore assez unique, qui aime jouer avec les sons, avec les effets et j’avais besoin de cela pour cet album. J’aime bien changer de musiciens, j’en garde parfois un ou deux mais la nouveauté fait que l’on peut aussi aller explorer d’autres voies musicales.

- Quel est votre sentiment intérieur quand vous rentrez sur scène au début d’une nouvelle tournée? Avez-vous le trac ?

En fait, surtout les premiers soirs d’un nouveau spectacle sont un peu particuliers. Le spectacle, j’y pense, j’y gamberge pas mal de temps, je pense aux chansons, à l’ordre des chansons, au rythme du spectacle, à la couleur générale du spectacle donné par les musiciens, aux éclairages. Mais tant que le spectacle n’a pas pris vie, naissance, on n’en sait rien. Le spectacle ne vient au monde que quand il est la première fois sur une scène, devant des gens. Même si l’on répète pendant trois semaines, je ne sais pas comment il va fonctionner malgré l’idée que j’en ai. Ce sont les premiers soirs qui vont être déterminants car l’on ne sait pas si le spectacle a le bon rythme, si les chansons sont dans le bon ordre etc… Il y a aussi le fait que le public ne connaît pas les dernières chansons donc il est à l’écoute d’une autre façon. Les premiers soirs, il règne comme une fragilité car le nouveau disque n’est pas connu, le nouveau spectacle n’est pas rôdé. Mais cela fait aussi la beauté de la chose. Il y a comme une inquiétude, mais également une jubilation, une joie. Je suis rassuré quand le spectacle tourne bien, qu’il tourne rond, qu’il a son rythme. Alors, je suis détendu et j’ai juste une petite tension nécessaire qui n’est pas nerveuse mais une tension d’énergie. On a besoin de cette tension d’énergie pour entrer sur scène et je suis toujours heureux d’être sur scène. Je n’ai donc pas d’angoisse, pas de trac mais une tension physique qui va me donner l’énergie dont j’ai besoin sur scène et pour le reste, tout cela n’est que du bonheur.

- Comment sera le nouveau spectacle ? Sera-t-il différent de celui du Cannet il y a deux ans qui était très dépouillé ?

Le spectacle de l’album 0u vont les rêves était dépouillé volontairement avec les trois musiciens en trio et le côté un peu acoustique qui ressemblait à l’album. Là, cela sera un peu plus sophistiqué avec des jeux de lumières différents, un peu plus lumineux et coloré à tous les degrés. Le nouveau spectacle ressemblera à l’album.

- Quel regard portez vous sur la nouvelle chanson française (Benabar, Delerm, Jeanne Cherhal, San Severino et les autres) ? Qui appréciez-vous parmi eux ?

J’aime bien Benabar, San Severino, Jeanne Cherhal. M n’est plus de la nouvelle génération déjà. Je pense qu’il y a une volonté de renouer avec une tradition de la chanson française qui s’était une peu perdue, celle de raconter des histoires. Ce qui compte est le contenu d’une chanson, les mots, les émotions exprimées. Il y a un désir de renouer avec cette tradition-là. Mais il ne faut jamais aller trop vite et quelquefois, j’ai l’impression qu’ils veulent aller trop vite. Les maisons de disques peuvent parfois accélèrer le processus et j’ai parfois l’impression d’un manque d’humilité. Il faut être très humble dans notre métier, c’est le conseil que je pourrais donner et surtout, ne pas oublier que chanter, c’est apprendre à se connaître soi-même. Et donc, il faut mûrir cela dans la vérité, dans la continuité et lentement. Cela est important car on a besoin d’une expérience, de maladresses, de questions que l’on se pose (qu’est ce qu’il faut que je chante ? comment je dois me tenir ? m’habiller etc…). Des interrogations que l’on se pose tous au début de notre carrière, car l’on ne se connaît pas bien soi-même. Lorsque l’on se connaît soi-même, il n’y a plus de questions. Mais tout cela prend du temps et il faut prendre ce temps.

- Depuis toujours, vous avez exprimé dans vos chansons une recherche spirituelle très intense. Il y a une dizaine d’années, vous posiez la question Où est la source ? l’avez-vous trouvée aujourd’hui à travers vos recherches dans le bouddhisme tibétain ou l’indouisme ?

Ce sont des questions importantes difficiles à résumer. A cette question « où est la source », un chanteur ne peut pas apporter de réponses. On peut au moins faire en sorte que celui qui écoute se pose des questions. Cela est déjà pas mal. Cette question revient à ce que nous disions tout à l’heure : qui sommes-nous vraiment ? D’où venons nous ? Il n’y a pas de réponse globale mais il est important d’avoir en soi des questions qui font que l’on ne stagne pas, qu l’on ne s’endort pas dans une vie quotidienne dans des habitudes et que l’on n’ait plus envie de chercher. Mon idée est que nous avons plein de choses à découvrir en nous, en soi et nous n’avons même pas idée de ce que nous pouvons découvrir en nous-mêmes. Tant que nous avons cette volonté de chercher, tout cela est une question de foi. Ensuite chacun a son propre chemin. Je ne suis ni indouiste, ni bouddhiste, ni quoi que ce soit. Je suis d’origine juive et je me suis intéressé, c’est vrai, aux philosophies orientales. Il y a des vérités qui relient toutes les religions. Qu’est-ce que la spiritualité ? Je crois que la spiritualité est déjà avoir un besoin de progresser : avoir l’idée que je peux m’élever, je peux grandir, je peux apprendre, je peux mieux connaître. Cette soif-là, cette volonté-là suffit et la spiritualité c’est est cela pour moi. La méditation peut être très intéressante, mais la spiritualité est pour mois les questions que l’on se pose et la volonté de progresser, de grandir, d’avancer, de mieux se connaître.

- Pour paraphraser le titre d’une de vos chansons, où vont vos rêves aujourd’hui ?

J’aime mon métier, j’aime écrire, composer, j’ai mes amis, ma famille. La priorité des priorités est que ces amis et ma famille, tous ces gens que j’aime, soient préservés et se portent bien. Et ensuite, que je puisse toujours être dans la joie d’être tout simplement. Cultiver un état de joie, je ne vois pas ce que l’on peut avoir d’autres comme rêves. Je crois que je fais des chansons engagées mais il faut les écouter. L’idéal serait que sur cette planète l’humanité entière puisse vivre dans l’échange, le respect, l’amour, le bonheur. Personne n’appellerait cela un rêve mais plutôt une utopie. Et pour en revenir à mon niveau, j’ai envie d’avancer et j’espère que je ne vais pas m’endormir. Je veux garder la joie de faire mon métier.

- Quels sont les écrivains qui vous ont marqués profondément, à différentes étapes de votre vie ?

Curieusement, je ne suis pas un grand lecteur. Je le regrette. Je ne suis pas quelqu’un qui lit beaucoup. Je crois que je lis un peu lentement. J’ai adoré par exemple le parfum de Susskind et si je pense à des gens qui m’ont marqué, je dirais les poètes et surtout les romantiques. J’ai adoré Musset, Victor Hugo, Raimbaud, Verlaine. Brassens aussi. J’aimais beaucoup lire la poésie car la poésie est musicale ; on trouve en elle une grande musicalité.

Propos recueillis par Philippe DE NANS (pseudonyme)