Raymond Sérini - Patriote Côte d'Azur - 2003

Première représentation d’une série dans la région et dans toute la France de la pièce « Madame Marguerite », au théâtre de Grasse. C’est l’occasion pour le « PCA-Hebdo » de rencontrer Annie Girardot.

Rencontrer Annie Girardot signifie tout d’abord faire un voyage à travers le temps. Dès que l’on croise son regard, Nadia de « Rocco et ses frères », Catherine de « Vivre pour vivre », Danièle de « Mourir d’aimer », Hélène de « La gifle », « Françoise Gailland » ; tous ces personnages et bien d’autres se télescopent dans votre tête. Son parcours a été parsemé de grands rôles et de trous noirs, de triomphes et d’échecs. Mais sa côte d’amour a toujours été au plus haut auprès des spectateurs. Preuve en est le nombre de personnes qui, après son spectacle du 31 janvier dernier à Grasse, se bousculaient pour lui dire un mot, lui faire signer des programmes ou lui proclamer son admiration.

Le phénomène est quasi unique : bien peu d’acteurs ont su passer quatre décennies en conservant une telle tendresse de la part du public. Récemment, Annie Girardot a effectué un retour fracassant au cinéma avec « Le Pianiste » de Michel Haneke et au théâtre avec « Madame Marguerite », rôle qui lui a permis de recevoir un Molière 2002 de la meilleure comédienne. Cette pièce, véritable morceau de bravoure, présente toutes les facettes du talent de l’actrice qui alterne générosité, force, colère, fragilité, tendresse, émotion et jubile à brusquer ses élèves-spectateurs. La performance est impressionnante. Au-delà du don total de l’actrice dans son rôle-fétiche, demeure une femme touchante, anti-star, qui vous parle comme si elle vous connaissait depuis toujours et vous fait le cadeau d’une vraie gentillesse.

- Annie Girardot, parlez-nous de « Madame Marguerite ».

Ce texte a été écrit par Roberto Athayde, un auteur de 21 ans. Il est arrivé à Paris, un metteur en scène a lu la pièce et m’a dit : « C’est l’histoire d’une maîtresse d’école qui prépare une classe pour passer de la 7^e à la 6^e ».

J’ai donné cette histoire à Jean-Loup Dabadie qui l’a adaptée et, en 1974, après quelques représentations, le succès est arrivé. Aujourd’hui, le personnage a évolué parce que je vieillis, mais le texte est toujours le même. Au fur et à mesure, il se passe des catastrophes, des moments formidables. J’engueule le public, je lui dis : « Répondez-moi quand je vous parle ». Tout le monde s’amuse. Il est vrai que Madame Marguerite n’a pas une façon très ordinaire d’enseigner. Elle, elle enseigne la vie à sa façon et propose une leçon de vie. Quand on a repris la pièce, j’avais la trouille, mais le succès a été au rendez-vous tout de suite.

- Qu’est-ce qui, en définitive, vous a conduit à ce métier ?

En ce qui concerne mon métier, tout vient de ma mère : c’est elle qui m’a emmenée vers le centre d’art dramatique, puis ont suivi le Conservatoire et la Comédie-Française. Je dois tout à maman.

- Quels sont vos futurs projets ?

Pour l’instant, la tournée de « Madame Marguerite », rien d’autre. Je n’ai pas fini d’exprimer tout ce que je veux faire passer à travers ce personnage. J’ai beau faire des allers-retours, il y a encore du chemin. Le premier acte est le plus difficile, le trac est présent et Madame Marguerite doit séduire le public. Après, je me laisse porter par ce texte magnifique qui est pour moi comme une symphonie.

- Qui est Madame Marguerite ?

C’est quelqu’un Madame Marguerite ! Grande gueule, mal embouchée, fruste, inculte. De plus, elle est institutrice. Pas du genre 2+2=4. Enfin si, il faut bien, mais en réalité, les maths, le français, tout ça c’est juste un prétexte pour apprendre à ses élèves ce qu’ils sont, comment ils vivent, le monde qui les entoure et les manipule. Elle aborde tous les sujets à sa façon bien à elle : subversive, pas du tout politiquement correcte. Mais au fond, ce que défend Madame Marguerite, c’est la vie et le bonheur. Le bonheur qui se mérite, qu’il faut chercher. Annie Girardot se régale dans ce rôle qu’elle avait créé et qui lui avait valu un triomphe en 1974. Et même si la pièce peut paraître aujourd’hui un peu moins sulfureuse que lors de sa création, Madame Marguerite conserve grâce à elle la même générosité, la même force, la même fragilité courageuse.